Violences psychiatriques
Cher lecteur, chère lectrice,
C’est un écrit quelque peu différent des autres que je vous livre aujourd'hui.
J’ai choisi de partager certains évènements qui ont marqué ma vie et mon identité ces quatre dernières années. Quatre années et neuf hospitalisations, c’est ce qu’il m’aura fallu pour distinguer les plaies de ma peau.
En novembre 2023, peu de jours après m’être enfuie être résolument sortie d’hôpital, la lecture du témoignage de cet article de presse a ouvert les vannes et déclenché ce vomissement verbal. Incrédule devant les similarités perçues entre cet article, relatant une expérience vieille de dix ans, avec mon expérience actuelle, je décidai de raconter tout ce que l’hôpital m’avait fait subir. Me croyant alors fort du soutien de mes amies, je décidai que le lugubre sujet des violences psychiatriques dans nos hôpitaux devait être mis au jour. Je rédigeai mon témoignage sous la forme de deux écrits. L’un irait aux autorités, l’autre à la presse. Ces lignes sont le troisième écrit. J’espérais ainsi me protéger de la réitération de tels actes. J’espérais aussi délier les langues de mes camarades d’infortune et les soulager de la honte dont je me libérais.
En effet, hospitalisée dans les établissements publics et semi-publics, ici en Suisse, j’y ai été témoin et victimes de choses traumatisantes et écœurantes. J’ai vu et vécu la prise d’ascendant de médecins est soignant·e·s sur la patientèle.
Dès 2019, une série noire d’évènements a gangréné ma vie : des problèmes familiaux, du harcèlement sexuel et moral sur mon lieu de travail, une escroquerie. Cela a conduit à un isolement social et une perte de repères. Ma santé mentale n’a pas tenu le coup. Mon état de santé s’est aggravé, notamment par de la suicidalité et de l'automutilation, symptômes jusqu’alors inédits pour moi. C’en a été au point où j’ai été reconnue invalide par l’assurance invalidité. Mon état a nécessité des interventions de crise et des soins aigus afin d’être maintenue en vie.
En novembre 2023, suite à une tentative de suicide, j’étais à nouveau hospitalisée et subissais plusieurs maltraitances institutionnelles et, dans mon cas, abusive. J’ai notamment été sanglée aux urgences, suite à un meltdown autistique dans les lieux, c’est-à-dire que je me suis effondrée en hurlant au sol en position fœtale. Bien que le personnel ait été informé en amont de mon autisme, ils ont choisi d’user de force sur moi, d’outrepasser mon consentement et d’agir à l’inverse des recommandations de base dans les cas d’autisme. Ainsi, malgré ma terreur et la souffrance d’être touchée, le personnel m’a saisi les membres et les a étirés pour me sangler. Il en a résulté des contusions au niveau des poignets, des chevilles et de la ceinture abdominales. Durant deux semaines, on ne pouvait d’ailleurs pas me toucher le côté gauche du corps sans que je saute de douleur — ce qui est ballot quand on souffre déjà suffisamment pour avoir le besoin de mettre fin à ces jours.
Le meltdown a notamment été provoqué par la nouvelle que j’étais placée en PLAFA, mesure déjà subie et qui a provoqué une absolue terreur chez moi. La mesure allait, du reste, contre l’avis de mon médecin psychiatre traitant.
D'ailleurs, cette mesure ne m’a pas été annoncée par le personnel médical, ni soignant. Au moment des évènements, bien que la médecin et l’équipe soignante m’aient dit revenir sous peu, elles ont disparu, contre mon gré, tandis que je réclamais à sortir, sous prétexte de se concerter. Ma meilleure amie et représentante thérapeutique m’accompagnait et m’a raconté après coup ce dont elle a été témoin. Elle m’a notamment rapporté que j’avais été immédiatement placée sous PLAFA au départ de l’équipe médicale, bien qu'elle ait dit, à ce moment-là, quitter la discussion pour se concerter ; elle m’aura donc menti. Voici ce qu’elle me relate : les professionnels ne voulaient pas revenir m’informer du PLAFA. L’équipe soignante lui a demandé de me donner un tranquillisant ; tranquillisant que j’avais alors refusé de prendre lorsqu’ils me l’ont proposé — il était exclu que je consomme de nouveaux médicaments après une overdose médicamenteuse. Elle m’a relaté que l’équipe soignante lui a donc confié le tranquillisant, pensant que je changerais d’avis si c’était une proche qui me le proposait et « pour que je ne réagisse pas fortement », c’est-à-dire pour ménager l’équipe censée me soigner, lorsqu’on m’annoncerait que ma claire volonté de sortir n’avait pas été respectée et mes droits diminués. Ma représentante thérapeutique insiste sur le fait que la médecin ne voulait pas revenir m’informer que mes droits fondamentaux venaient d’être altérés tant que je n’étais pas sous tranquillisant ou placée seule dans un box.
Ainsi, la médecin a fait de la rétention d’information et manipulé la situation pour son intérêt personnel et celui du personnel, non le mien. Je comprends qu'elle comptait sur le fait que je sois diminuée pour me contrôler. Je comprends que, déjà à ce stade des évènements, une forme de contention par la manipulation s'opérait. Au lieu d’écoute, d'empathie, de compréhension et respect de mon autodétermination, je vois dans les actes posés par ces professionnels une objectification et manipulation du patient, une grave trahison de l’alliance thérapeutique, une déresponsabilisation professionnelle, une inversion des rôles, une instrumentalisation des proches, une subtile recherche de soumission et de contrôle, une profonde confirmation de ma méfiance à l’égard de la fonction psychiatrique. Les « soins » se sont pervertis en « bienveillante maltraitance ». Ma représentante thérapeutique en a d'ailleurs conçu un certain traumatisme. Elle coupera d’ailleurs les ponts avec moi quelques jours après, sonnant le glas de notre amitié.
Du reste, je n’ai été finalement que vaguement informée par une infirmière de ma mise sous PLAFA, donc de l’altération de mes droits fondamentaux d’individu, qu'une fois sanglée. De plus, je n’ai jamais été informée des résultats des examens opérés sur mon corps (plusieurs ECG et prises de sang), ni lors de ce passage aux urgences, ni une fois hospitalisée en unité psychiatrique. Comme si d’emblée mon discernement avait été balayé dans le regard du personnel, qui s’est, à mes yeux, octroyé le droit de me traiter comme un objet, et non comme un être humain, imposant leur volonté à autrui, selon les termes qu’ils et elles pensent, eux, bénéfiques. Ils ont ainsi balayé mon autodétermination et mon libre-arbitre.
On dirait que le personnel médical confond suicidalité et automutilation, avec la perte de discernement. Grave erreur : même si leurs dires et actes choquent, le patient ou la patiente présentant ces symptômes garde souvent (dans mon cas, toujours) sa capacité à pondérer ses décisions, à faire preuve de lucidité et de clarté.
En outre, dans ma lecture des évènements, le PLAFA résultait du manque d’empathie, de temps et d’écoute de la médecin vis-à-vis de mes besoins, que j’ai pourtant clairement explicités et cela, en dépit de mon état somatique affaibli suite à ma tentative suicidaire. Nous sommes entrés en conflit ouvert lorsque celle-ci a manqué entendre mes raisons de refuser les soins qu’elle proposait et n’a guère pris le temps de chercher des alternatives. Elle m’aura parlé au maximum deux fois quinze minutes sur les presque 24 heures où je suis restée alitée aux urgences. Alors que j’écris ces lignes, je suis encore écœurée.
À noter également qu’avant d’être sanglée, les urgentistes m’ont placée durant de nombreuses heures juste à côté d’un plateau de soins sur lequel et dans lequel se trouvaient des objets tranchants. Cela bien que ma tentative de mettre fin à mes jours ait notamment consisté à me trancher les veines et artères, avant d’en venir à l’overdose médicamenteuse. Je trouve très contradictoire cette prétendue volonté de me soigner dans leur discours, tout en m’exposant seule à de potentielles armes, en me sanglant et en restreignant mes droits les plus fondamentaux dans les faits. Je ne me suis pas sentie soignée, mais soumise.
À noter encore que tout au long des évènements et, hormis les temps de blackout suite à l’injection de produits non consentie, j’ai été lucide et apte au discernement. La docteure a nié cela, sans me connaître, en ayant à peine discuté avec moi et sans me donner aucune raison médicale à ce dit « manque de discernement » qui justifiait pour les soignants ces pratiques « médicales » que je qualifie de maltraitance.
Ensuite, une fois transférée en unité psychiatrique, j’ai entendu du personnel soignant crier contre une patiente handicapée mentale ; le ton démontrait frustration et colère. La patiente n’était d’ailleurs jamais sortie de la chambre, même pour marcher un peu. Lorsque j’ai entendu résonner les cris, j’étais dans l’espace commun, et, voyant un médecin-assistant passer, je l’ai accosté en lui demandant si c’était normal ce qu’il se passait. Il ne s’est pas arrêté et m’a dit en passant ne pas avoir de temps.
Lorsque j’ai réclamé un entretien à l’ICUS (l’infirmier chef d’unité de service) pour parler de ces pratiques délétères, celui-ci a commencé à me psychanalyser et tourner en ridicule ce que je répondais me concernant, au lieu de noter ce que je disais et me remercier d’avoir amené ses éléments à sa connaissance. Je suis sortie de l’entretien humiliée et avec l’envie de me suicider.
J’ai vu des soignants et soignantes refuser systématiquement de donner l’attention requise par des patientes en grande difficulté sociale : j’ai vu un soignant fermer avec impatience et force la porte du bureau des infirmiers, alors que la patiente, pliée en deux sur la poignée, s’y agrippait de toutes ces forces, après avoir demandé plusieurs fois à obtenir leur attention.
Choquée de tout cela et alors que je croisais par hasard une connaissance qui travaille avec cette unité, je lui en ai parlé.
Peu après cela, le médecin (je crois, cadre) est venu me voir seul dans ma chambre et m’a demandé « si cela posait un problème que je sois hospitalisée là » et m’a demandé d’arrêter d’aller voir les personnes que je connaissais au sein de la structure. (J’ai fait la supposition — avec un certain soulagement — que ma connaissance, croisée plus tôt dans le couloir, avait posé quelques questions sur ce que je lui avais rapporté.) Je m’y suis opposée en soulignant que voir ces visages connus et appréciés dans ces lieux me remontait le moral et me rassurait. J’ai été extrêmement choquée de la façon dont il a amené les choses : il est venu dans ma chambre, ne s’est nullement enquis de mon état, n’a nullement cherché à me rassurer sur ce que j’avais vécu et vu, bien qu’il me paraisse évident à ce stade que cela me préoccupait, ni ne s’est positionné, en qualité de médecin et de cadre, en disant que cela allait changer.
Plus tard, lors de l’entretien médical avec ce médecin, son assistant et une infirmière, j’ai partagé m’être sentie intimidée, voire menacée. Le médecin a ri et a dit qu’il ne pensait pas spécialement « être quelqu’un d’intimidant ». Je n’ai pas compris le rapport entre sa personne et ce que je ressentais. Je ne me suis sentie ni entendue, ni comprise ; ce qui est inacceptable de la part d’un médecin psychiatre. Je l’ai trouvé totalement inadéquat et manquant clairement de professionnalisme, tout comme l'ICUS.
Concernant la mise sous PLAFA, j’ai dû réclamer le document officiel à l'unité. Celui-ci ne m’a jamais été spontanément donné. En outre, son maintien ou sa levée ne faisaient pas spontanément l’objet des discussions avec les soignant·e·s et médecins. Ainsi, six jours après le tentamen, excédée de ne pas être tenue informée, je m’enquis du statut du PLAFA le soir qui suivait cet entretien médical. J’apprenais alors surprise que celui-ci n’était toujours pas relevé, malgré le fait que les éléments ayant servi d’allégation à son instauration par les psychiatres des urgences avaient disparus depuis plusieurs jours. Première concernée, dernière informée.
Le lendemain, toujours fâchée de notre entretien de la veille et extrêmement méfiante, je me suis rendue, à reculons, à un nouvel entretien médical inattendu avec ce médecin, son assistant et une infirmière. En effet, la veille au soir, j’avais posé très énergiquement auprès de l’équipe soignante vouloir être suivie par des spécialistes de l’autisme, à même de peut-être amener des solutions, autre que médicamenteuses, pour soulager une surcharge du système nerveux dû à l’hyperstimulation et aux traumas. Il m’avait été confirmé par un service extérieur qu’il était possible de déléguer pareils professionnels pendant cette hospitalisation. L’équipe soignante a parfaitement saisi ma demande.
Toutefois, lors de ce nouvel entretien et bien que l’équipe médicale et soignante eurent discuté entre elles, le médecin n’a pas été capable de me retranscrire correctement ma demande. Irritée par ce manque de compréhension, que je percevais comme une perte de temps et un manque de considération de mon interlocuteur, j’ai très fermement corrigé ces mots. Celui-ci m’a alors clairement fait comprendre que ma demande était vaine, que les procédures étaient lentes et les services surchargés. J’entendais donc méprisée ma demande et me retrouvais, une énième fois, privée de soins corrects, sans solution. Le médecin s’est énervé face à mon attitude et a interrompu l’entretien, en se levant et en partant, sous prétexte que je haussais le ton (chose qu’il m’avait déjà dite précédemment dans la chambre, alors que ce n’était pas le cas). J’ai trouvé que ce médecin faisait preuve de méchanceté, de peu d’introspection et remise en question et de beaucoup de projections.
Mes amies se sont d’ailleurs interrogées de savoir si le personnel médical et soignant est sensibilisé et correctement formé à l’asymétrie de la relation, à l’ascendant et au pouvoir qu’exerce tout médecin ou soignant sur une personne vulnérabilisée par sa santé. À ce jour, je rejoins leurs interrogations et m’inquiète profondément d’être à nouveau victime de tels actes, que j’ose maintenant qualifier de dérives.
Lors de ce désastreux entretien, le psychiatre m’a dit, à un moment donné, qu’il y a sept milliards d’humains à souffrir sur terre, en réponse, si je me souviens bien, au fait que j’exprimais souffrir. Cela m’a blessée. De même, l’infirmière, restée seule à la fin de l’entretien, m’a enjoint de regagner la chambre en disant avoir 18 autres patients à s’occuper. Je suis toujours coite vis-à-vis de cette inversion des rôles par le personnel : me demander, dans des états de grande souffrance, d’oublier ma peine, sous prétexte que d’autres souffrent, d’empathiser pour leur condition, comme si c’était eux les patients, de prendre en charge une structure, dont la mission est de prendre en charge, parce qu’elle serait surchargée. Au passage, notons que, selon mon expérience maintenant fort fournie du milieu hospitalier psychiatrique, ces structures sont toujours surchargées.
Suite à cet entretien, je me suis sentie fortement dégradée, humiliée et rabaissée. La suicidalité est remontée. Malgré mon état d’agitation intérieure très importante, je réalisais que ce médecin me faisait peur et me maltraitait, au lieu de me soigner. Forte de ce constat, j’ai réussi à me rendre dans ma chambre, faire rapidement ma valise et filer « à l’anglaise ». C’est ainsi que j’ai mis fin à cette dernière hospitalisation. Une fois les lieux quittés, mon agitation et ma suicidalité retombaient. Ma meilleure amie les appelait le soir pour s’assurer que le PLAFA était maintenant levé et demander un certificat médical, que j’attends encore.
Ce n’est malheureusement pas la seule fois que j’ai quitté l’hôpital psychiatrique de cette façon. Lors d’une précédente hospitalisation, en 2021, il a été précipitamment décidé que je sortais. Or, au moment de la sortie, la suicidalité est remontée. J’ai demandé un entretien infirmier qui m’a alors été refusé, malgré ce symptôme, car le personnel était trop occupé ailleurs. Très agitée et énervée, je récupérai mon couteau suisse au bureau infirmier et me scarifiai les deux avant-bras de retour dans la chambre, afin de me calmer et faire ma valise. Un infirmier et un aide-soignant sont alors venus, ont vu l’état de mes bras sur lesquels le sang coulait passablement à flot. Énervée, je répondais à l’infirmier qui me demandait ce qui n’allait pas. Il m’a alors dit qu’il refusait de me parler dans cet état et m’a à nouveau laissée seule. Je le suppliais de ne pas me laisser seule. Il n’en a eu cure et, oublieux de son devoir de soignant, m’a culpabilisée de mon état et m’a responsabilisée de sa réaction. J’ai quitté les lieux en sang et en larmes, seule, avec la ferme intention de mettre fin à mes jours une fois arrivée chez moi. Cela ne s’est finalement pas produit, car, souhaitant témoigner de la raison de mon prochain suicide, que je mettais sur le compte des traitements négligents et maltraitants fraîchement subis, j’appelai le service de médiation de l'hôpital et contais l’entier de l’histoire. La médiatrice a alors fait le travail qu’auraient dû faire les soignants, m’écoutant et proposant des solutions concrètes et faisables.
Je trouve ce souvenir extrêmement violent et hypocrite. La mission d’un soignant ne s’arrête pas parce que la date de sortie est arrêtée, ni ne souffre un tel manque d’adéquation et de responsabilités. En outre, j’éprouve énormément de dégoût : j’ai récemment appris que cet infirmier était passé ICUS.
Tandis que j’écris ces lignes, sans surprise, une amie hospitalisée dans la même unité me rapportait à quelques détails près avoir vécu les exacts mêmes traitements et circonstances de sortie en ce novembre 2023.
Ensuite, un an auparavant, en octobre 2022, mon système nerveux hypersensible semblait peiner, en raison d’une grande fatigue, à inhiber les stimuli, difficulté connue par de nombreux autistes. Épuisée, j’avalais plusieurs tranquillisants, afin de dormir. Une de mes proches appelait les urgences ; je ne me souviens pas comment elle a appris mon état. J’étais emmenée aux urgences. Surprise de m’y réveiller, dans un endroit aux stimuli violents (bruits, lumières, odeurs, passages), je me levai, désorientée et confuse par ma prise excessive de médicaments — je crois avoir retiré moi-même le cathéter — je me dirigeais vers la sortie, afin de rentrer chez moi, dans mon lit, avec mes chats et la douceur de mes couvertures. Un agent de sécurité se plaçait face à moi. Irritée qu’il se mette dans mon passage, je le contournais en grommelant. Il recommença. Je recommençai. Je ne sais pas combien de fois nous avons opéré ce manège. Quoiqu’il en soit, il s’est soldé par son collègue m’attrapant les bras et les tirant dans mon dos (je me souviens avoir eu mal aux pectoraux pendant plusieurs jours après cette élongation des bras). Il me hissait de dos contre lui, je me mis à hurler devant ce contact non-consenti et douloureux. Il me ramenait de force sur un brancard. Je ne me souviens pas si c’est à ce moment ou plus tard lorsque je réussis à me libérer un poignet, je me souviens néanmoins très clairement de ces deux agents de sécurité et un soignant se couchant sur mon corps, afin de sangler (pour la première fois de ma vie), mes poignets et mes chevilles. Je ne me souviens pas si j’ai été sanglée au niveau de l’abdomen ; le rapport dit que oui. Je me suis débattue contre les sangles, que j’ai essayé de mordre. Terrorisée, je me souviens avoir grogné et gémi, comme un chien terrifié, devant ce traitement. Je me souviens avoir essayé de me casser un des poignets pour l’extraire de l’attache et me libérer des autres. Je réussis d’ailleurs à me détacher d’une des sangles. C’est peut-être à ce moment-là qu’ils se sont couchés sur moi. En tout cas, ils m’ont réattachée. Je me souviens qu’ils soulevaient régulièrement l’autocollant qui fait office de « volet de hublot » pour m’observer ; je me souviens les avoir vu me regarder, puis échanger des regards et rire. Après je ne me souviens de rien. Selon le rapport, les professionnels m’ont injectée de force une substance à deux reprises (du Midazolam) — et cela en dépit de la prise excessive de médicaments qui m’avait amenée là.
Remarquons que, si mon attitude n’était certes guère compliante à recevoir les soins, ni agréable, elle n’était pas non plus dangereuse pour autrui ou moi-même.
J’ai donc subi à un an d’écart deux fois la contention physique et chimique, alors même qu’il est indiqué que ces mesures ne sont à employer qu’en dernier et ultime recours. J’ai le sentiment, lorsque je pense et parle de ces évènements, que nous sommes face à une psychiatrie où la violence institutionnelle et légale, consistant à restreindre la liberté d’autrui « pour son propre bien-être ». De telles pratiques sont désormais devenues de simples outils permettant à des équipes de professionnel·le·s insuffisamment compétentes et débordées de « ranger » et « silencier » un patient ou une patiente, à leur goût dérangeant, mais qui, en réalité, est alors dans une souffrance extrême. Nous avons donc désormais des professionnel·le·s qui « soignent » la souffrance par la souffrance.
Je précise également que le médecin des urgences aura renseigné sur mon état la proche qui a appelé les urgences. Ces informations médicales ont été transmises, alors que je n’avais pas désigné cette proche comme représentante thérapeutique et ne souhaitais pas qu’elle soit tenue informée. Il s’agit d’une rupture du secret médical.
Enfin, détail pour les allistiques, grande difficulté pour les autistes : les urgences auront négligemment perdu mes chaussures ce soir-là. Remarquons que de nombreux autistes projettent de l’affection et de l’empathie sur leurs possessions, qui font partie de leur équilibre mental. En outre, l’imprévu est source d’importante anxiété pour les personnes à fonctionnement autistique ; perdre ou casser une de leur possession active donc énormément de stress. Enfin, percevant seulement une rente minime d’invalidité, cela signifie une perte financière non négligeable, en plus d’une certaine perte de dignité – déambuler pieds nus dans les couloirs de l’unité psychiatrique n’était pas exactement la meilleure expérience qu’il soit. Pour moi, cette « histoire de chaussures », à l’apparence peut-être banale pour les nantis, aura revêtu toute la symbolique de ce soir-là et ses évènements traumatiques vécus au sein d’un lieu qui se réclame de « soins » : la contradiction avec laquelle les soignants mènent leur mission, convaincus de soigner, alors qu'ils attachent leur patient·e. La contradiction avec laquelle ils croient prendre soin de leur prochain, tout en manquant protéger ses intérêts et ses biens qu’il leur a confiés malgré lui.
Pour terminer, trois mois auparavant, en été 2022, je vivais une hospitalisation longue, suite à un tentamen. Un jour, vivant d’importantes difficultés sociales avec ma voisine de chambre, je demandais une « permission » (l’autorisation de quitter la structure hospitalière pour plusieurs heures). Je voulais, en effet, m’éloigner de ma voisine. Or, j’avais alors un rendez-vous chez mon médecin traitant, la structure n’ayant pas de somaticien. Il avait été convenu que l’établissement prendrait en charge les frais de déplacement pour aller et revenir de ce rendez-vous médical. Néanmoins, celle-ci changeait de discours une fois la permission accordée : en raison de la permission, mes allées et venues, même englobant cette visite médicale, n’étaient plus prises en charge, puisque ma sortie avait maintenant une couleur privée. Cela représentait une importante difficulté financière pour moi. Excédée des traitements mesquins de ma voisine, excédée de me sentir laissée tombée, à bout, je quittais, furieuse, l’entretien infirmier et sortais prendre l’air. Pour, je crois, la première fois de ma vie, j’eus un mouvement de colère envers un objet qui ne m’appartenait pas et tapai du côté du poing dans un carreau en sortant. Ce carreau, que j’appris plus tard par une patiente travaillant comme professionnelle dans les soins psychiatriques, n’était pas aux normes de construction pour les soins psychiatriques. Il volait en éclat. Choquée et honteuse de mon geste et ses conséquences, je continuais mon chemin, en larmes, et allais me poser sur les terrains adjacents au bâtiment. Là, un aide-soignant me rejoint et me parla. Puis toute l’équipe. Nous rentrâmes tranquillement. Arrivés dans le couloir, alors que je pensais monter à l’étage dans ma chambre, ils se saisirent de moi, me soulevèrent et m’entrainèrent en chambre d’isolement, de nos jours rebaptisée en « chambre de soin intensif » (CSI). Je hurlais à plein poumon d’effroi et de douleurs. Arrivée dans la chambre, j’étais posée et laissée seule. Je fus informée par une psychiatre, vraisemblablement terrifiée de venir me voir, que j’étais mise sous PLAFA. Je m’énervai à nouveau et perdis mon calme. Croyant que j’allais l’agresser alors que ce n’était pas le cas, elle s’enfuit, attisant encore plus mon isolement et mon sentiment d’abandon. Une fois la porte fermée, je frappai dedans et les insultai (première fois aussi de ma vie). Je dus me scarifier en me frappant le crâne au mur. Je me déshabillai et me plaçai sous la douche pour me calmer et me consoler. Nue, mes habits furent pris et on me donna une chemise d’hôpital, selon les normes de la CSI. Pas de culotte. Je crois que j’étais assise dans le lit ou roulée en boule, lorsqu’environ huit infirmiers, dont une armée d’une seringue, et un nouveau psychiatre entrèrent dans la chambre. Le psychiatre me responsabilisa de la suite des évènements, bien que ceux-ci dépendaient de sa volonté et de sa volonté seule : il m’expliqua que cela se passerait calmement ou pas. Je reculais contre le mur, comme un animal acculé et paniqué. Acculée au mur, les infirmiers se sont saisis de moi par les bras et les jambes, m’ont immobilisée, découvert le bas du corps, exposant mon pubis nu, retournée, exposant mes fesses, tandis que l’infirmière à la seringue enfonçait celle-ci dans ma fesse, je crois, gauche. Je hurlais à la mort. Puis les infirmiers se sont précipitamment retirés, me laissant seule, démunie et humiliée. Ils m’ont injecté un neuroleptique et son correcteur. Je crois que son effet a duré 24 heures. Je me souviens être assise sur le lit, calculant la façon la plus efficace de me donner la mort dans cette chambre, tout en étant enfermée dans mon corps, dépourvu de la volonté de bouger ses membres. Je me souviens encore des deux scénarios que j’ai trouvés. Le médicament ne m’a donc guère soulagée, mais juste contentionnée. De plus, je détestais son effet sur mes pensées, les rendant hagardes, sans lien entre elles, me donnant l’impression qu’elles ne m’appartenaient pas, comme des éléments étrangers traversant mon esprit. Terrifiée d’être ainsi enfermée, je demandais du Vallium, désespérée de trouver refuge dans le sommeil, à défaut de le trouver dans la mort. À l’époque, je ne savais pas que la demi-vie du Vallium était de quatre jours ; cela signifie que son effet perdure pendant quatre jours après sa prise. La psychiatre qui me l’avait prescrit ne m’en avait pas informée et l’équipe soignante s’est gardée de me le dire au moment où je l’ai demandé. Je restai enfermée pendant cinq jours dans cette chambre d’isolement : je crois que la psychiatre en charge de mon dossier partait en vacances. Ils ont préféré attendre le retour de vacances du prochain psychiatre chargé de reprendre mon dossier. On ne me garda donc pas enfermée du fait que mon état le nécessitait, mais pour des raisons externes et plus commodes pour l’équipe soignante et médicale. La dernière prise de Vallium datant du dernier jour de cet enfermement, je restais encore quatre jours supplémentaires dans les brumes. Les mots me manquent pour décrire l’impression qu’il y a à se voir voler cinq jours de sa vie (neuf, si on compte le Vallium), tout cela pour des raisons non médicales et que j’espère, à la lecture de mon compte rendu, suffisamment clairement discutables et condamnables. Deux semaines plus tard, terrorisée et incapable de dormir pendant plusieurs jours, la suicidalité revenait au galop.
Je ne suis d’ailleurs pas la seule patiente qu’ils aient mis en chambre d’isolement, suite à des difficultés de voisinage et un manque de ressources avoués, ainsi que pour des raisons financières.
À ce stade de la lecture, je suis certaine que vous conviendrez, tout comme moi, des ressemblances entre le présent compte-rendu et celui de « Caroline » de l’article, cité en introduction :
« Selon elle, les institutions dans lesquelles elle était internée ne prodiguaient pas de soins, à proprement parler. Le plus clair de son temps, elle le passait enfermée dans une chambre, "sans activité, à compter les trous au plafond."
Elle affirme ne pas avoir été mise au courant des possibilités de recours : "Si on refusait de suivre le traitement, c'était de toute façon une médication forcée, la sécurité arrivait et nous plaquait au sol."
Parfois, elle était attachée au lit. "Je le ressentais comme une volonté de nous dompter, de nous réduire au silence, en tous les cas de nous obliger à être d'accord avec ce que l'on nous imposait," explique Caroline. »
En conclusion, je m’inquiète énormément de la tournure actuelle donnée aux soins psychiatriques, qui semble, à mon goût, faire trop souvent abstraction de la parole des concerné·e·s. Je suis fatiguée de voir les médecins se plier, non pas au bon sens, ni au respect, ni aux besoins de son patient ou sa patiente, mais aux édits et numéros de position des assurances. J’éprouve un profond dégoût lorsque j’entends la volonté d’effectuer des économies dans le secteur psychiatrique et de constater que cela résulte en de tels traitements. Je suis outrée que des « traitements » dits de dernier recours et gravement maltraitants deviennent une mesure de palliation aux économies effectuées dans le secteur. Sommes-nous devenu-e-s à ce point pauvres ?
Il me dégoûte que la notion de « justice distributive » signifie aujourd’hui, non pas que tout patient ou toute patiente est bien traité·e, mais que les patients et patientes doivent prendre sur eux ou elles-mêmes et prendre en charge le débordement du personnel, au nom de la souffrance d'autres patients, au lieu – comme semble adorer nous le répéter le personnel soignant – de se concentrer sur soi et son rétablissement. Je ne peux m’empêcher de constater l’irrationalité et le non-sens d’un tel processus : si les soins d’un patient sont bloqués par les soins d’un autre patient, eux-mêmes bloqués par ceux d’un autre patient et, tel un domino, les soins de tous les patients d’une unité sont bloqués par les soins des uns et des autres, le fait d’être hospitalisé perd son sens, puisque tout est bloqué. Quel sens y a-t-il à être hospitalisé·e s’il s’agit, au moment où la souffrance est la plus importante, d’être responsabilisé-e, plus ou moins subtilement, du bien-être d’autrui et cela, à notre détriment ? Quels soins nécessitent de souffrir d’humiliation, maltraitances et négligence institutionnellement admises comme des « soins » ?
Je me sens absolument terrifiée à l’idée de me retrouver à nouveau confrontée, en état de vulnérabilité, à une psychiatrie qui ne prodigue guère de soins, mais néglige, humilie, enferme, contraint, silencie, soumet, bafoue des patients et patientes sous couvert « d’aide ». Je suis arrivée à mes limites et j’y suis arrivée il y a longtemps. Ma tête a juste pris plus de temps pour s’en rendre compte et mon cœur pour agir.
Ainsi à ce jour et même pas à la moitié de mon espérance de vie, mais déjà bien cabossée, je me suis affiliée à EXIT, le suicide assisté, pour pallier cette terreur et au désespoir que j’éprouve devant ma souffrance et l’inévitabilité d’être à nouveau ainsi maltraitée en psychiatrie. En effet, fort est de constater que le système hospitalier et psychiatrique se révèle incompétent à soigner les traumas dont je souffre, mais plutôt bien trop « compétents » à en créer de nouveaux. Je refuse d’être ainsi maltraitée. La mort m’apparaît bien plus miséricordieuse et apaisante.
C’est également pourquoi je choisissai de déposer ce témoignage auprès de l’état et la presse. Je devais « me sauver » de cet environnement, « les » empêcher de commettre ses horreurs sur moi. En effet, ma conclusion était qu'à ce stade, seule l’opinion publique peut changer les choses et dissuader un·e professionnel·le d’utiliser les sangles et la contention lorsque je me trouve au plus vulnérable de mon état.
Et enfin, je veux que la honte change de camp. Ces lignes, ce hurlement, à mes camarades d’infortune et à ma propre face : ce n’est pas ta faute, cela ne l’a jamais été, cela ne te définit pas, cela ne t’a jamais défini. Et si tu l’as cru, cesse maintenant de courber l’échine sous la honte et relève la tête. Regarde-la dans les yeux et vois ce qu’elle est : l’aveuglement de celui ou celle qui t’a dominé-e lorsque tu avais besoin d’être vu-e, sa surdité lorsque tu avais besoin d’être entendu-e, son ignorance et inconscience lorsque tu avais besoin d’être compris-e.
À toi qui as lu ces lignes et m'as ainsi accompagnée, maintenant tu sais. Fais-en bon usage.
Emilie Bétrix
Novembre 2023